Le
nucléaire entre énergie et potentiel militaire
Quand en
1905 Albert Einstein établit l’équivalence entre masse et énergie sa
formule E = mc² fut ignorée parce qu’elle était sans correspondance
avec l’économie européenne du moment dominée par l’industrie de l’acier
par les chemins de fer et la chimie de base.
De
grandes quantités et énergies de petites masses
Il y a un
siècle l’industrie électrique à base scientifique en était à peine à ses
débuts et dans toute l’Europe et aux Etats-Unis quelques universités
seulement disposaient de laboratoires spécialisés dans le travail
théorique.
Les
implications potentielles aussi bien civiles que militaires de la
formule E = mc² étaient inimaginables. Le symbole C² indique la vitesse
de la lumière qui est de 300 000 km/seconde multipliée par elle-même. On
obtient un chiffre de 90 milliards ce qui signifie que l’annihilation de
petites quantités de masse (m) de matière correspond à la libération
d’énormes quantités d’énergie.
Il découle
de l’équation d’Einstein que la disparition d’un kilogramme de matière
équivaut à 25 milliards de kilowat/heure à savoir la même quantité
d’énergie générée en trois ans par une centrale électrique de 1000 Mw en
mesure de satisfaire aux besoins d’une ville de 800 000 habitants; Pour
avoir une idée de l’ordre de grandeur en jeu il faut penser qu’un
kilogramme de matière annihilée génère une énergie équivalente à celle
obtenue par la combustion de près de deux millions de tonnes de pétrole
dont le transport requiert 20 pétroliers de 100 000 tonnes;
L’annihilation de 80 kg de matière correspond à l’énergie totale
consommée en un an par un pays comme l’Italie.
La formule
théorique d’Einstein fut confirmée en 1932 par les expériences du
Cockcroft et de Walton dans les laboratoires anglais de Rutherford et
trouva son application pratique en 1945 avec la fabrication des
premières bombes atomiques.
Dans le cas
de l’uranium 235 (u-235) le processus de transformation de la matière en
énergie se produit par le biais de la scission (ou fission) de l’atome.
L’u-235 se trouve dans l’uranium naturel u-238 dans une proportion de
près de 0,7 %. L’u-238 n’est pas fissible ; aussi afin d’exploiter
l’énergie de l’u-235 est-il nécessaire d’augmenter le pourcentage
d’u-235 dans le total de l’uranium utilisé au moyen d’un procédé
technologique d’ »enrichissement »
L‘enrichissement de l‘uranium
Durant la
seconde guerre mondiale l’enrichissement de l’uranium nécessita la mise
en place d’usines coûtant aux prix actuels quelques milliards de dollars
et consommant énormément d’énergie électrique produite par les barrages
des grands fleuves du Tennessee et de l’état de Washington. L’histoire
de l’énergie nucléaire et de la physique nucléaire fait partie
intégrante du long cycle de l’électrification des pays industriels au
cours du XXe siècle.
L’arme
nucléaire qui détruisit Hiroshima contenait 60 kg d’u-235 et eut un
pouvoir explosif de 13 kilotonnes (1 kilotonne correspond à 1 000 tonnes
d’explosif traditionnel à potentiel élevé) car rien que 0,8 kg d’u-235
sur 60 -soit 1,3 %- fissionna alors que le reste fut dispersé dans
l’atmosphère.
La bombe à
l’uranium enrichi d’Hiroshima n’avait jamais été expérimentée auparavant
car la bombe qui avait été testée à Alamogordo au Nouveau Mexique était
au plutonium ou Pu239 substance fissible dérivée de l’u-238. Pour les
armes nucléaires le plutonium est plus efficace même s’il requiert
l’utilisation de techniques de fabrication plus complexes.
La bombe qui
fut lancée sur Nagasaki contenait 6 kg de plutonium ; elle ne pesait
qu’un dixième de celle d’Hiroshima et eut un pouvoir explosif égal à 22
kt correspondant à la fission de 1,3 kg de plutonium soit une puissance
de 20 % contre 1,3 pour celle d’Hiroshima.
A l’âge de
l’impérialisme et de la compétition mondiale entre les grandes
puissances capitalistes la première grande application pratique de la
découverte géniale du pacifiste Einstein fut une arme dont la capacité
destructrice était quelques millions de fois supérieure à celle des
explosifs traditionnels. Ce qui distingue la fission nucléaire de la
combustion thermique traditionnelle c’est l’échelle de l’énergie libérée
de millions de fois supérieure.
Des
réacteurs nucléaires à usage civil et militaire
Après la
seconde guerre mondiale les premières applications non destructrices de
l’énergie atomique concernèrent la propulsion des navires militaires.
Les réacteurs à eau lourde comme les CANDU canadiens peuvent fonctionner
à l’uranium naturel dans lequel l’u-235 n’est présent qu’à hauteur de
0,7 %. Les Etats-Unis se dirigeront pourtant vers la construction de
réacteurs à uranium enrichi à 4 % c. à d. 4 kg
[2
Richard L. Garwin, Georges Charpak, Mégawatts + Mégatons, 2002]
d’u-235 fissible pour 100 g d’uranium naturel) car cela permettait de
construire des réacteurs plus compacts de dimensions quatre fois plus
petites plus faciles à installer sur les navires et les submersibles. Le
21 janvier 1954 fut lancé le Nautilus premier sou-marin nucléaire
américain qui en 1958 accomplit l’exploit historique de la première
traversée sous-marine du pôle Nord.
Le premier
porte-avions à propulsion nucléaire fut l’Enterprise de 1961. La
technologie des réacteurs à uranium enrichi dont Westinghouse et General
Electric détenaient l’exclusivité fut ensuite transférée à la
construction de réacteurs à usage civil. Les Etats-Unis pouvaient ainsi
exploiter leurs gigantesques usines produisant de l’uranium enrichi à la
fois pour les submersibles, les navires, les bombes atomiques et les
usages civils. Dans le nucléaire le lien organique entre industrie
militaire et industrie civile est impossible à défaire. Même la France,
la Grande Bretagne et l’URSS prirent la même direction et le club des
puissances militaires nucléaires devint le point de départ de
l’industrie à base scientifique pour la construction de réacteurs à
usage civil.
Jusqu’à la
crise pétrolière de 1973 la recherche nucléaire se tourna principalement
vers le secteur militaire. Selon les avis éminents de Richard L. Garwin
physicien du Council of Foreign Relations et de Georges Charpak du CERN
à Genève après Hiroshima et Nagasaki le nombre des têtes nucléaires
testée s’élevait 1 030 pour les Etats-Unis, à 715 pour l’URSS, à 204
pour la France, à 45 pour la Grande Bretagne, à 43 pour la Chine, à 6
pour l’Inde et autant pour le Pakistan : soit un total de 528 explosions
nucléaires produites dans l’atmosphère provoquant suite aux retombées
radioactives plus de 300 000 morts civils. Ces derniers aussi font
partie des victimes des armes de desruction massive utilisées dans un
but expérimental par des nations « civilisées » lors de la période de la
« coexistence pacifique ».
L’Asie
entre aussi en jeu
L’année 1973
marqua le début d’un cycle mondial de construction de centrales
nucléaire à usage civil qui généra la situation décrite dans le tableau
1. On peut y voir que les Etats-Unis et le France sont les deux
premières puissances dans le secteur nucléaire civil. La deuxième
section du tableau 1 nus montre quelle est l’incidence de l’énergie
nucléaire sur l’ensemble de la production d’énergie électrique de chacun
de ces pays. La France est le pays le plus nucléarisé au monde mais en
Europe des pays comme La Suède, l’Espagne, la Suisse, la Belgique et
l’Allemagne sont très dépendants du nucléaire et ont donc de très fortes
potentialités même si elles ne sont pas encore orient&es dans le domaine
militaire.
Aujourd’hui
en Asie toute l’attention est tournée vers la Corée du Nord vers le
Pakistan et vers l’Iran mais il faut remarquer que la Corée du Sud aussi
bien que le Japon disposent d’une importante industrie nucléaire.
Toutefois, l’Inde avec 14 centrales, la Chine avec 7 centrales et Taiwan
avec 6 centrales sont aussi présents dans le secteur bien que leur
dépendance énergétique à l’égard du nucléaire soit actuellement bien
inférieure.
On voit dans
le tableau 2 la modification de la répartition mondiale de la production
d’énergie nucléaire dans la période 1971-2000 : dans les trente
dernières années l’Asie a affirmé son poids même si les deux tiers de
l’énergie nucléaire produite dans le monde sont encore concentrés dans
la zone atlantique.
L’industrie
nucléaire est l’industrie à base scientifique par excellence : de par
ses origines et son évolution elle a démontré l’inévitable dualité
militaire et civile propre à la science à l’époque de l’impérialisme. Le
développement du capitalisme à l’échelle mondiale ne promet pas
seulement la prospérité et le bien-être dans le monde mais aussi le
potentiel militaire.
Février 2004
ENERGIE NUCLEAIRE (2002) TABLEAU I
Centrales en Puissance(Mw) Répartition
% Poids %
exercice énergie électrique
d’origine
Nucléaire (2000)
______________________________________________________________________________
Inde
14 2 503 0,7 4,5
Etats Unis
104 98 991 27,5 20,0
France
59 69 183 19,2 77,5
Japon
54 44 293 12,3 29,8
Grande Bretagne 31 12 188 3,4
22,8
Russie
31 20 817 5,8 14,9
Allemagne
19 21 283 5,9 29,9
Corée du sud
18 14 850 4,1 37,2
Canada
14 10 003 2,8 12,0
Inde
14 2 503 0,7 4,5
Ukraine
13 11 190 3,1 17,4
Suède
11 9 427 2,6 14,3
Espagne
9 7 574 2,1 28,1
Belgique
7 5 757 1,6 58,3
Chine
7 5 276 1,5 0,5
Taîwan
6 4 884 1,4 8,9
Slovaquie
6 2 448 0,7 54,2
Rép. Tchèque 6
3 494 1,0 18,6
Suisse
5 3 200 0,9 40,1
Autres pays
28 12 068 3,4 -
_______________________________________________________________________________
Monde 441 359
429 100
_______________________________________________________________________________
Autres pays : Bulgarie, Finlande,
Hongrie, Argentine, Brésil, Lituanie, Mexique, Pakistan, Afrique du sud,
Arménie, Pays bas, Roumanie, Slovénie
Sources : International Energy Agency
et Der Fischer Weltalmanach, 2004
PRODUCTION D’ENERGIE NUCLEAIRE (MTEP*)
TABLEAU 2
Production
Répartition %
1971
2 000 1971 2000
_______________________________________________________________________________
OCDE Europe 13,3 243,5 45,86 36,03
OCDE Amérique du
Nord 11,7 229,6
40,35 33,97
OCDE
Pacifique 2,1
112,3 7,24 16,61
PVD
Asie 0,3
14,9 1,03 2,20
Chine
4,4 O,65
Amérique du sud
3,2 O,47
Afrique
3,4 0,50
Europe non
OCDE
7,4 1,09
Pays de l’ex URSS
1,6 57,3
5,52 8,48
_______________________________________________________________________________
Monde 29,0
676,0 100 100
________________________________________________________________________________
* millions de tonnes équivalent
pétrole
Sources International Energy et Der
Fischer Weltalmanach 2004
Extrait : Energie et pétrole dans L'affrontement impérialiste
Nicola Capelluto Palumberi 2007
Edition Sciences marxiste