Les conséquences stratégiques de la crise

Extrait de l’internationaliste n : 99  mai 2008

 

 

En vue des élections présidentielles aux Etats_ Unis, Henry Kissinger a mis à jour dans le Washington Post le cadre de sa vision stratégique. Sans doute , Kissinger est le principal conseiller du candidat républicain  John McCain en Matière de politique étrangère L’autre éminence de la politique étrangère américaine, Zbigniew Brzeziski, compte parmi les conseillers du candidat Barack Obama. En revanche, il n’est pas certain qu’il jouisse de la même autorité dont jouit Kissinger dans ses relations avec McCain. Hillary Clinton bénéficie, dans son  staff de campagne, de la présence de Richard Holbrooke, artisan des accords de Dayton sur la Bosnie ; dans son cas pourtant, il s’agit davantage d’une véritable candidature au poste de secrétaire d’Etat que du simple rôle de consultant:

Kissinger déplore la pauvreté du débat américain au sujet des »trois révolutions« qui sont selon lui, en train de modifier l’ordre international «La transformation du système traditionnel des Etats en Europe ; le défi que représente l’islamisme radical pour les notions traditionnelles de souveraineté’ le déplacement du centre do gravité des affaires internationales do l’Atlantique au pacifique et à l’Océan Indien ».

Le trait commun de ces trois tendances à la transformation est le poids différent qu’y jouent la notion d’intérêt national et le rôle historique de l’Etat-nation. Sur ce point, Kissinger reprend la thèse qu’il avait développée dans La nouvelle puissance américaine (Paris, 2003), ouvrage avec lequel il avait cherché à influencer en 2001 la campagne électorale dont George W. Bush est sorti vainqueur. Selon l’analyse de Kissinger, les relations globales sont caractérisées : 1) par un cadre « post national » (les relations entre pays européens, mais aussi, en partie, entre l’Europe et les Etats-Unis) ; 2) par un cadre asiatique, où joue encore la classique « balance de puissance » entre Etats souverains ; et 3) par un cercle « pré national » ou « pré westphalien » (la zone du Moyen-Orient) où les lignes de faille ethniques ou confessionnelles dominent et traversent les frontières des Etats, une situation similaire à celle de l’Europe des guerres de religions et de la Guerre de Trente ans.

D’après Kissinger, l’idée que les tensions entre les Etats-Unis et l’Europe proviennent du « prétendu unilatéralisme »  qui aurait caractérisé la présidence de George W. Bush est très répandue. La nouvelle administration démontrera néanmoins que la cause est plus profonde, étant donné son rapport avec les différents caractères de la souveraineté nationale sur les deux rives de l’Atlantique. Les Etats-Unis seraient encore « un Etat-nation traditionnel », où l’intérêt national est considéré de manière plus profonde et mieux partagée que sur le Vieux Continent.

En Europe, un processus de transformation politique encore inachevé se traduit par un déficit politique dans la capacité d’action internationale : « Epuisées par deux guerre mondiales, les nations européens ont accepté de transférer des éléments significatifs de leur souveraineté à l’Union européenne. Les loyautés politiques associées à l’Etat national ont cependant montré qu’elles ne pouvaient être transférées automatiquement. L’Europe est dans une phase de transition entre un passé qu’elle tente de dépasser et un futur qu’elle n’a pas encore atteint, mais au cours du processus, la nature de l’Etat européen s’est transformée. Avec la nation qui ne se définit plus sur la base de son propre destin mais dans une cohésion avec l’Union européenne qui reste encore à démontrer, la capacité d’une grande partie des gouvernements européens à réclamer des sacrifices à leurs citoyens s’est drastiquement réduite ».

Kissinger ramène les tensions rencontrées par l’Alliance atlantique à ces différents aspects de la souveraineté, même si, curieusement, il ne cite que l’Afghanistan, et non la guerre en Irak. Il nous semble que cette manière si fortement conceptuelle d’aborder la transformation de la souveraineté l’autorise aussi bien à négliger les différences effectives entre les intérêts stratégiques qu’à insister sur l’image d’une Europe encore attardée au milieu du gué vers son unification politique.

Au contraire, le sommet de l’OTAN organisé à Bucarest a montré que les différences stratégiques sont réelles et que l’axe entre Paris et Berlin a été en mesure de repousser les manœuvres intrusives des Etats-Unis. Parmi celles-ci, le plan prévoyant d’élargir l’Alliance atlantique à la Géorgie et l’Ukraine, que avait aussi bien pour but de conditionner Moscou que d’éloigner la Russie de l’Union européenne.

Pour Kissinger toujours, la faiblesse des Etats du Moyen-Orient provient de leur origine, entre la crise de l’Empire ottoman et la domination coloniale européenne : « à la différence des Etats européens, leurs frontières ne renvoient pas à des identités ethniques ou à des différences linguistiques, mais aux équilibres auxquels sont parvenus les puissances européennes dans leur confrontation en dehors de la région ».

S’il insiste sur la menace que représente l’Islam radical pour des structures étatiques déjà fragiles, il apparaît pourtant que la question centrale est la présence stratégique dans le Golfe.

L’intérêt porté à cette région est « vital pour la sécurité et le bien-être des puissances industrielles » et « l’option d’un retrait de cette zone est impensable ». il nous semble que l’accent mis sur la fragilité « pré westphalienne » de ce système d’Etats laisse sous-entendre le vide de puissance dans la région et, par conséquent, l’intérêt stratégique qu’il y a pour les Etats-Unis à la diriger. Malgré la rhétorique sur le retrait des troupes engagées en Irak, les trois candidats actuels à la présidence américaine sont d’accord sur la nécessité vitale d’une présence à long terme dans le Golfe.

La troisième tendance, le déplacement en Asie du centre de gravité des relations globales, confère – selon Kissinger – une influence à de nouveaux acteurs qui conservent les caractéristiques traditionnelles de la puissance étatique. Ainsi, la Chine, le Japon, l’Inde et, en perspective, l’Indonésie « se considèrent mutuellement comme se considéraient jadis les protagonistes de la balance de puissance en Europe ».

Un déplacement aussi gigantesque des rapports de force ne s’est jamais produit par le passé sans une guerre, comme l’a montré l’émergence de l’Allemagne à la fin du XIXe siècle. D’après Kissinger, la clé de la question réside dans la relation entre les Etats-Unis et la Chine : « Un rapport hostile laisserait chacune des deux puissances dans la situation de l’Europe à l’issue des deux guerre mondiales, en proie à un conflit autodestructeur alors que les autres puissances conquérraient la suprématie ».

L’Union européenne est eu milieu du gué et il y a un vide de puissance à combler dans le Golfe. Dans cette situation, on a l’impression que, parmi les nombreux motifs de convergence entre Washington et Pékin, Kissinger laisse percer l’intention de conditionner, voire de freiner la consolidation de l’Union européenne. Cependant, le renforcement relatif de l’Europe doit être compté parmi les conséquences stratégiques probables de la crise, à commencer par le déclin de la capacité d’influence des Etats-Unis par le biais des équilibres libre-échangistes du « Washington Consensus ».

Des actions et des réactions dans la balance de puissance globale seront inévitables.

         (Lotta comunista, Avril 2008)

 

 

 

 



Association Culturelle et Artistique Franco Iranienne  ACAFI (Association loi 1901)

rouhollahabbassi@yahoo.fr

Dernière mise à jour le : 31 ãì 2008.