Lorsque,
le 11 novembre 1989, le mur de Berlin s'effondra, l'événement fut ressenti
dans le monde comme marquant la fin du communisme tout à fait comme, 71
ans auparavant, l'armistice signée dans la clairière de Rethondes était
considérée comme annonciatrice de la paix mondiale.
Depuis,
l'idéologie communiste passe pour obsolète et les différents régimes qui
s'y sont référés se sont effondrés d'eux-mêmes les uns après les autres,
sous la pression d'une population dont ils devaient en principe sublimer
les aspirations.
Le
marxisme semble maintenant devoir se ranger parmi les diverses écoles de
socialisme qu'il avait lui-même par dérision classées parmi les utopies
humaines. Proudhon, Fourier, Saint-Simon, Cabet et autres doivent
aujourd'hui rire dans leur tombes...
En réalité,
ce que nous avons vu mourir durant ces dernières années n'a pratiquement
rien à voir avec le communisme tel qu'il avait été conçu par ses
aspirateurs et il n'est nullement exagéré d'affirmer que jusqu'à ce jour
notre planète n'a connu aucun état authentiquement communiste. Tout au
plus pouvons-nous parler de capitalisme monopolististe d'État, résultat
assez éloigné tout de même du programme marxiste.
Que les
prétendues démocraties populaires n'aient été que des caricatures souvent
sanglantes du communisme, il n'y a aujourd'hui que quelques nostalgiques
du stalinisme pour le nier. Bon nombre de militants dont la sincérité
n'est pas à mettre en doute refusent par pudeur de s'engager sur la voie
de la critique : on peut comprendre, qu'après s'être fait des années
durant thuriféraires inconditionnels des systèmes prétendus communistes,
il leur soit aujourd'hui difficile de brûler publiquement ce qu'ils ont si
longtemps adoré.
Qu'une
idéologie économique et politique ait pu engendrer dans le monde des
millions d'adeptes aussi dépourvu de sens critique ne peut qu'étonner
celui qui n'a pas vécu et partagé la vie des militants communistes. En
effet, en voulant précipiter leur marche vers la prise de pouvoir
politique, la plupart des mouvements communistes a été dans l'obligation
d'abandonner certains de ses principes et en créant une hiérarchie quasi
militaire en son sein, elle a peu à peu séparé les dirigeants de la base,
créant ainsi une nouvelle aristocratie assoiffée d'honneurs et de pouvoir
absolu. Les dirigeants ainsi promus, soûlés par leur propre autorité, se
comportant en dictateurs sanguinaires ne voulaient plus se rappeler la
phrase déjà prononcée par Robespierre : "Un ministre montagnard n'est pas
un montagnard ministre".
Il est certain que le ver s'est mis très tôt dans le fruit puisque
l'International Communiste, dès le début des années 1920, avait dans ses
21 conditions, rendu impossible et illusoire toute possibilité à la
critique et à la contestation. L'article 2 mérite d'être rappelé dans son
intégralité : " Toute organisation désireuse d'adhérer à l'Internationale
communiste doit régulièrement et systématiquement écarter des postes
impliquant tant soit peu de responsabilités dans le mouvement ouvrier (organisation
du Parti, syndicats, fractions parlementaires, coopératives, municipalités)
les réformistes et les "centristes" et les remplacer par des communistes
éprouvés, sans crainte d'avoir à remplacer, surtout au début, des
militants expérimentés par des travailleurs sortis du rang".
Si, hormis certains intellectuels attirés par le communisme
révolutionnaire des premières années, s'en sont progressivement écartés en
en découvrant les abus et les perversions, la plus grande masse des
adeptes a su pendant longtemps conserver une foi inébranlable dans le
mouvement, niant l'évidence même jusque dans les cas les plus flagrants.
La discipline du parti a joué jusqu'au bout et n'a cessé d'être respectée
que lorsque le ressort s'est cassé. Tout au plus, lorsque les
contradictions devenaient de plus en plus évidentes, refusait-on d'en
parler car comme le disait alors Sartre, il ne fallait pas désespérer
Billancourt. On comprend mieux alors pour quelles raisons des exclus comme
Tillon, Marty, Lecoeur, Lefebvre, Garaudy ou Juquin sont devenus, une fois
mis hors du parti communiste, des hommes seuls, les militants se refusant
dans leur ensemble à abandonner une structure à laquelle ils s'étaient
plus ou moins adaptés et où ils trouvaient une certaine sécurité
idéologique.
Il ne faut surtout pas oublier que cette structure, cette discipline,
cette soumission toute religieuse a permis quand même la mise en échec du
fascisme hitlérien, même si on a pu relever une certaine réserve avant que
l'Union Soviétique ne soit directement impliquée dans la deuxième guerre
mondiale.
Aujourd'hui, l'expérience communiste est donc considérée comme un échec et
il semble inutile de fouiller dans son passé. Mais, de même que des
experts examinent minutieusement les débris après une catastrophe afin
d'en déterminer les causes, certains pensent que l'étude objective du
mouvement communiste permettra de trouver les motifs de son échec et de
remonter jusqu'à leurs sources. Que ce soit devant la carcasse un avion
écrasé ou les ruines d'une république prétendue démocratique, l'étude ne
pourra être réellement profitable que si, dans les deux cas, les
enquêteurs croient en l'avenir et au progrès.
Avant que l'avion ne vole, combien d'échecs ? Avant que les trains ne
roulent et ne supplantent les diligences qui bénéficiaient alors de
plusieurs siècles d'expérience, combien de défaites ? Et dans tous les
domaines, combien d'erreurs dont l'évidence aujourd'hui bien établie
n'était pas toujours évidente à l'époque ?
Lorsqu'on
demanda à Benjamin Franklin qui fut témoin à Paris en 1783 du premier vol
humain à bord d'une montgolfière à quoi pouvait bien servir cette
invention, il répondit simplement : "A quoi sert l'enfant qui vient de
naître ?".
Le monde, en ce début de millénaire, vit toujours avec les mêmes
injustices et les mêmes contradictions qui avait incité le 19ème siècle à
rechercher des solutions aux crises sociales, économiques ou politiques
qui le secouent périodiquement. L'exploitation de l'homme par l'homme a
pris une dimension planètaire et les solutions qu'il nous faut étudier
doivent prendre désormais en compte des données de plus en plus
Internationales. À une époque où les échanges commerciaux couvrent la
quasi-totalité de la planète Terre, il nous faut tenir compte de toutes
les expériences qui se sont déroulées dans le monde afin d'y trouver un
peu plus de justice et d'équité.
Les
militants communistes ont été très souvent à l'avant-garde des luttes
populaires et les différentes actions qu'ils ont engagées un peu partout
méritent d'être étudiées, analysées et comparées entre elles. Il est tout
aussi difficile de déterminer les causes d'un échec que celles d'une
victoire et l'analyse des conséquences reste bien souvent hasardeuse.
L'élaboration d'un renouveau de l'idéologie communiste qui, un jour
prochain, reprendra, probablement sous un autre nom mais avec les mêmes
idéaux, le flambeau de l'émancipation prolétarienne est déjà en chantier.
Si
aujourd'hui nous sommes capables d'envoyer des fusées dans le cosmos, il y
a toujours des enfants qui travaillent dans les mines. Que ces mines
soient en Amérique latine et non plus en Europe ne change rigoureusement
rien au problème posé : comment se fait-il que l'indiscutable progrès
constaté dans les sciences et les techniques ne se traduit pas mieux dans
le domaine social ? Ce n'est pas parce que la misère s'éloigne de notre
champ visuel qu'elle cesse pour autant d'exister.
Désormais nous sommes, que nous le voulions ou non, solidaires de tout ce
qui se passe dans le domaine de l'économie mondiale. Cette solidarité ne
doit pas seulement s'arrêter aux limites de la Communauté Européenne sous
peine de se scléroser et de se rendre ainsi plus ou moins complice du
maintien de l'ordre actuel des choses tel que l'a voulu et conçu le
capitalisme qui a su réussir, sans trop de casse pour lui, à s'adapter aux
données du marché international.
Le communisme n'est pas mort. Trop jeune, trop présomptueux, trop sûr de
lui, trop curieux, trop impatient, il a trébuché et est tombé par terre.
Mais c'est en tombant et en ce faisant mal qu'un enfant apprend à marcher
et il n'y a pas d'autres méthodes...
Rouhollah ABBASSI